Article 50: Digestion
Publié le 3 Février 2015
Alban à Son Servera, le 3 février 2015.
Baptiste, un ami cyclo-voyageur qui a roulé un an, nous avait prévenu. « J’ai mis deux mois à me remettre de mon voyage ; le retour est difficile ». Cette difficulté, nous en étions conscient bien avant de pousser sur les pédales mais sans vraiment savoir à quoi nous attendre…
Dès le début de notre voyage, nous souhaitions nous poser quelques temps à Majorque. Pourquoi Majorque? La réponse est assez simple…
Jess a tout d’abord une partie de sa famille qui vit ici à l’année. Passer quelques mois avec ses cousines, leurs conjoints et sa tante n’est que du positif. Pouvoir échanger plus facilement et se poser dans un lieu qui nous est familier est une véritable chance. Sans compter que nous faisons également de belles rencontres malgré mon espagnol encore bien limité et mon accent quelque peu étrange !
De plus, même si nous sommes qu’à quelques jours de vélo de la France (et oui, on ne parle plus en kilomètres !), les températures sont bien plus clémentes… Nos derniers flocons de neige datent quand même de septembre 2013 alors que nous étions au Kirghizistan et qu’on préparait notre entrée en Chine. Nous avons été bien plus souvent exposé à des fortes chaleurs qu’à un froid hivernal. Alors traverser les Pyrénées en hiver ne nous motivait guère… d’autant plus qu’ici nous avons pu randonner en short et tee-shirt entre noël et le nouvel an avec des températures supérieurs à 20°C.
Enfin, séjourner quelques mois ici était aussi l’occasion de revoir amiEs et famille. Nous avons eu beaucoup de chance de passer de bons moments avec Jeremy, Nicole et Philippe (le frère et les parents de Jess), Michel (mon père) et Reshmee mais aussi Aurélie, Priska, Aymeric, David, Eric, Alina, Léo et Carole (ma belle-sœur) qui nous a fait une belle surprise en venant seule une petite semaine. Comme à chaque fois, les retrouvailles sont simples, faciles, un peu comme si nous n’étions jamais partis. Certes, nous aurions bien voulu en avoir encore plus mais les impératifs de chacun ne permettaient pas de prendre ces quelques jours de vacances.
Cette pause ou bien cette léthargie comme la nomme Marie et David, les deux bretons à bicyclettes, est nécessaire car elle nous permet de reprendre nos marques progressivement. En s’inscrivant à un atelier de couture et de tricot et en profitant d’offres alléchantes pour prendre un abonnement au fitness, nos journées passent bien vites. A ma grande surprise, je ne m’ennuie pas même si certains côtés du voyage me manquent. En y réfléchissant un peu, je pense que les bivouacs représentent le plus gros manque. J’entends déjà certains d’entre vous: « Ba, t’as qu’à planter la tente dans le jardin et dormir dedans ! ». Oui, pourquoi pas ! Mais pour moi les bivouacs sont bien plus que le simple fait de s’enfermer dans 2m2… Les bivouacs représentent l’essence même du voyage, du mouvement. Ne jamais savoir où l’on va dormir le soir, espérer à chaque fois qu’on trouvera un bel espace, prendre le temps d’orienter sa tente en fonction du soleil… Il s’agit d’une accumulation de petites choses qui embellissent la journée. Je me rappelle encore de notre passage en Bulgarie et en Turquie où nous nous amusions avec Baptiste et Roxane à mettre des étoiles sur ces emplacements journaliers. Une étoile si on trouvait un lieu à l’abri des regards. Deux étoiles s’il y avait une rivière pour se laver. Trois étoiles si on pouvait faire du feu. Quatre étoiles si en plus de tout cela, il n’y avait pas de moustiques ! A ce sujet, je vous invite d’ailleurs à lire le « Petit traité sur l’immensité du monde » de Sylvain Tesson. Il y a un chapitre particulièrement intéressant, intitulé le bivouac.
Notre passage sur l’ile a été également une bonne prise de tête avec les gars de chez Hase qui commercialisent notre tandem. Jamais je n’ai vu un service après-vente aussi minable. Une attente interminable, un je-m’en-foutisme incroyable et une amabilité imperceptible. Deux mois d’échanges par mails où je suis parvenu, grâce à Jess, à ne pas me montrer aussi con qu’eux…
Je pense qu’après un tel voyage, il faut prendre le temps de le digérer.
Il est important de se poser et de faire le point. De savoir ce qu’on veut vraiment. Dans quelle direction tendre. Difficile de se projeter après toutes ces expériences ! Est-ce que je serais capable de me poser sans ressentir un manque? Vais-je trouver un emploi qui m’offrira la liberté nécessaire pour continuer à faire ce que j’aime ? J’ai peur que notre voyage m’est rendu trop exigent. Deux ans, c’est quand même long… La digestion ne sera que plus lente.
Face à ce constat, nous sommes tous différents. Vu que je ne parviens pas à me projeter bien loin et que je suis quelqu’un d’assez terre à terre (trop ?), je ne me pose pas plus de questions que ça. J’ai toujours eu du mal à faire des plans avec autant d’inconnues. Pour Jess, cette digestion semble plus difficile. Après de nombreuses discussions, je crois avoir compris qu’il lui est nécessaire de se retrouver soi-même avant de pouvoir faire autre chose. J’ai toujours eu un peu de mal à comprendre ça et ce n’est qu’après 17'000 km que je finis par l’intégrer. Comme quoi, il en aura fallu des coups de pédales pour que je puisse ouvrir les yeux ! Digérer est tel voyage est difficile alors lorsque deux personnes doivent faire cette démarche, ça devient bien plus compliqué. Il ne faut pas oublier que nous vivons ensemble, 24h sur 24, depuis bientôt deux ans. C’est arrivé si peu de fois que je me rappelle parfaitement du nombre de jours que nous n’avons pas passé ensemble. Là est la réelle difficulté du voyage en couple. Ce n’est pas l’exploit sportif, la météo ou le manque des proches, les montagnes à gravir… La chose la plus difficile est de trouver un équilibre permettant aux deux de se sentir bien. Cet équilibre fragile oû chacun peut avoir ses moments à soi. Nous sommes en quelque sorte des funambules qui tentent d’évoluer sur un câble. On s’est parfois casser la gueule mais nous n’avons jamais eu peur de remonter dessus.
Ces trois mois d’immobilité m’ont permis de mieux comprendre ce besoin si fondamental de Jess. Pour qu’elle retrouve son espace, sa créativité qui l’a caractérise comme elle le dit si bien, nous avons décidé que j’allais anticiper mon départ. Jess me rejoindra plus tard dans deux, trois, quatre semaines. Nous ne savons pas encore exactement où mais le pays-basque semble être un bon compromis.
Je pense donc reprendre la route la semaine prochaine. Je prépare tranquillement l’itinéraire afin de retrouver certains proches tels que Romain et Anaïs ainsi que les amis de Marcel sur Toulouse, Marlène à Auch, Nadine dans l’Ariège, Laurie et Thibaut à Perpignan… Je fais exprès de citer les noms pour les avertir de mon arrivée soudaine et de mettre quelques bières au frais ! Je ne sais pas encore par quelle route je vais passer même si certains tronçons deviennent plus évident tels que le canal du midi ou encore le canal de Robine. Je pensais me mettre un défi en m’attaquant au col du Tourmalet mais il y a de forte chance qu’il soit fermé… Ne souhaitant investir dans des pneus cloutés, je vais devoir trouver autre chose.
Dans cet article, je me suis montré plus intime. C’était l’occasion pour moi de poser aussi mes mots. Il est vrai que les pages de mon journal de bord sont restées vierges depuis notre arrivée à Majorque. J’ai choisi d’écrire sur notre blog ce type de texte afin de donner une autre dimension au voyage.